samedi 31 décembre 2011

Prologue

Depuis une heure déjà, je déambule à travers les rues de mon passé. Ce trajet, je le connais bien. Je le connais par cœur. Je l’ai souvent emprunté, le cœur lourd et la tête remplie d’incertitudes. À ma grande surprise, les lieux n’ont pas vraiment changé. Le temps semble les avoir épargnés puisqu’ils sont toujours tels qu’ils étaient dans mon souvenir. Je relève la tête pour dévisager les quelques passants anonymes qui croisent ma route. Certains me jettent de timides regards, baissant aussitôt le menton sur leurs pas au moment où leurs yeux croisent les miens, d’autres encore fixent droit devant eux, absorbés par leur propre existence, sans prendre la peine de s’attarder, ne serait-ce qu’un instant, au vaste monde qui les entoure. Ils ignorent tout de moi, tout de ma vie, de ce récit, et tout de ce que ces lieux évoquent encore en moi.

Autour, l’air est doux, le soleil brille de mille feux, étalant ses chauds rayons à travers un ciel sans nuage et les arbres sont encore verts de feuillage. Hélas, il ne reste que trop peu de temps avant que les premiers pigments de jaune, de rouge et d’orangé altèrent leurs feuilles déjà bientôt au terme de leur vie. Le vent caresse la peau nue de mes bras, je frissonne et je me rappelle. Ce paysage enchanteur, ce paysage fascinant, me ramène directement à la fin de mes études secondaires, plus précisément, à la fin de mon adolescence; un bond phénoménal dans le passé, dans mon passé, le temps d’un après-midi, le temps d’un récit, le temps de retrouver à travers ma mémoire ce qu’il en était de moi à cette époque.

Je marche en silence, perdue au coeur de réflexions alambiquées alors que les images et souvenirs de ce temps se bousculent par milliers, remontant à la surface dramatiquement, inondant, par le fait même, ma conscience de leur mélancolie. Je me revois à cette époque, j’étais jeune et insouciante. Je revois son visage, son sourire, ses yeux, surtout. Étrangement, je suis transportée par la même joie, par la même exaltation qu’en ces jours merveilleux, mais à la fois, je ressens un léger pincement au cœur de ne plus y être vraiment.

Il y a dix ans de cela, dix ans aujourd’hui que j’ai quitté la région pour n’y revenir qu’une fois à l’occasion, et Dieu seul sait à quel point je voudrais parfois de revenir en arrière. Cette période de ma vie me semble si loin, à présent, et pourtant, chaque fois que je retourne dans ma ville natale, j’ai l’impression de remonter le temps, de replonger dans le passé, de revivre cette histoire comme si j’y étais encore, comme si toutes ces années ne s’étaient pas écoulées, comme si les heures s’étaient arrêtées, inexplicablement, après mon départ.

Depuis, la vie a suivi son cours, ailleurs, autrement. Les jours se sont succédés, les mois et les années aussi, gardant jalousement secrètes les réponses à mes interrogations demeurées en suspens, mais le temps est traître, parfois cruel, laissant trop souvent sa trace sur le cœur et l’âme. Immuable, il coule, s’écoule à travers les âges, au-delà de toute compréhension, de toute influence, comme une eau calme et limpide suivant le cours d’une rivière éternelle. Pour une raison que j’ignore toujours, une raison qui me trouble profondément, quelque chose en ces lieux me rappelle à moi, et, encore une fois, sans que je ne puisse y échapper, l’histoire se répète…